mercredi 25 janvier 2012

Les riches financiers ont sauvé Wall Street en 1907, malgré eux

Pour la plupart des économistes, il va de soi qu'une banque centrale s'implique lorsqu'une crise monétaire se profile à l'horizon. Mais dans l'histoire de Wall Street, il fut un temps où de riches financiers ont mis l'épaule à la roue...
Au cours des deux derniers siècles, les gouvernements ont justement créé ces banques centrales pour gérer leur monnaie par le biais de ces monopoles d'État. Ces banques centrales ont le mandat d'imprimer et de gérer l'offre de monnaie dans une économie.

Or, il fut un temps où il n'y avait pas de banques centrales. À une certaine époque, les crises bancaires n'étaient pas rares, mais elles ne laissaient pas autant de sang sur le plancher. Pis encore, en 1907 ce sont de riches financiers de Wall Street - avec un peu d'aide du gouvernement - qui ont allongé les milliards pour sauver leur industrie financière. 

Ce qu'on en apprend des choses lorsqu'on lit de bons papiers écrits par de brillants jeunes étudiants. Nicholas Corriveau, finissant du programme Droit et société du collège Dawson, m'a appris un fait historique qui ne doit pas passer inaperçu en ces temps de lancinante relance économique.
Source: US Library of Congress Datastream

C'est John Pierpont Morgan lui-même qui a allongé 3,5 millions d'onces d'or au Trésor américain - en échange d'obligations, bien sûr - pour éponger une contraction de la quantité de monnaie dans le marché new yorkais de 1907. C'est l'équivalent de 5 milliards de dollars d'aujourd'hui. 

JP Morgan n'a pas agi seul. Ses collègues James Stillman (National City Bank), et George Baker (First National Bank), ont déposé 25 millions (dollars d'époque) dans les marchés pour assurer une stabilité et rassurer le public.

Péril en la demeure il y avait. N'étant pas expert en la matière, je me fie à l'une des sources de Corriveau : Jon Moen, de l'université du Mississippi, tiré d'un site bien étoffé sur l'histoire économique des États-Unis, riche de détails.

Collusion sur les marchés de New York. Un investisseur aux combines redoutées, F. Augustus Heinze, a échoué à réaliser un « corner » sur une entreprise de taille moyenne de l'époque, la United Copper Company. Heinze tentait d'acheter toutes les parts disponibles de l'entreprise, et même plus (les positions shorts), pour forcer les autres investisseurs à payer un gros prix sur les actions qu'il voulait revendre. 

COMBINES, TOUJOURS DES COMBINES

Ces combines sont interdites aujourd'hui, mais à l'époque, c'était permis semble-t-il. Pour réussir une telle combine, il faut soit beaucoup, beaucoup, d'argent, soit un réseau de prêteurs, de cambistes et d'investisseurs prêts à « fourrer » le système. Bref, en échouant cette combine, Monsieur-et-Madame-Tout-le-Monde ont perdu confiance dans la bourse de New York et ses banques. La Knickerbocker Trust est l'objet d'une ruée, comme plusieurs autres institutions financières de Wall Street.

Moen explique que les trusts étaient de nouvelles institutions financières, moins réglementées que les banques « nationales », ou « d'état ». Les trusts avaient le goût du risque. Il serait surprenant qu'un homme d'affaires aux instincts de « requin » se sente d'un coup épris d'une générosité telle qu'il accepte d'allonger ses millions pour éponger les dettes de concurrents qui ont joué à une sorte de roulette russe. Eh bien, c'est vrai. Selon Moen, JP Morgan n'a pas montré d'intérêt, au début du scénario, pour sauver le monde. Sauf que...
 
CONTRACTION MONÉTAIRE

L'époque avait ses particularités. L'automne à New York rimait avec taux d'intérêts élevés à cause du cycle saisonnier des moissons qui y prenaient les quais pour l'Europe. En attendant la somme due pour le blé et autres denrées des terres du Midwest, l'argent se fait rare sur Wall Street, comme à l'habitude. Mais 1907 était pire que par le passé parce que l'Europe semble être fauchée. Les barres d'or qui devaient arriver à Wall Street en automne, attirées par des taux d'intérêt plus élevés, ne sont pas au rendez-vous. Résultat, une contraction monétaire va exacerber la crise bancaire. Un comité se forme, Morgan à sa tête. On gère la crise au quotidien avec l'argent de plusieurs, le gouvernement participe... on évite le pire.

Au final, il semble que Morgan, bien qu'il ait été très bien rémunéré pour ces « placements » en ce temps de crise, n'ait pas apprécié ce rôle de prêteur de dernier recours. Wall Street pressa donc Washington de faire ce que toutes les autres nations développées ont fait à cette époque: se doter d'une banque centrale. Il ne fallut que quelques années pour que les États-Unis crée sa Federal Reserve Bank, en 1914, à l'instar des autres puissances d'Europe.